J’ai toujours rêvé de naviguer.
Il y a quelques années, j’étais perdue dans ma vie professionnelle, je venais de mettre fin à une relation dans laquelle je ne m’épanouissais plus, mais surtout j’avais appris une nouvelle difficile à encaisser qui m’a poussée à prioriser les choses réellement importantes pour moi dans la vie.
À ce moment-là, j’ai eu besoin de prendre le large, de tenter de nouvelles expériences, de goûter à ce qu’est vraiment la vie dans toute son intensité.
J’ai donc décidé de passer une semaine sur un voilier pour apprendre les bases de la navigation. J’ai appris les nœuds marins, les termes et les gestes techniques, tenu la barre, découvert les prémices de la vie sur un bateau, mais surtout, j’ai vécu une sacrée expérience de vie.
Un sentiment de liberté
Pour la première fois, au milieu de cette étendue d’eau, j’ai ressenti un sentiment de liberté comme jamais je n’en avais ressenti. Une sensation de plénitude, j’étais là, vivante, au milieu de cette mer, le vent sur le visage, avec rien d’autre à l’horizon que le bleu de l’eau, sans aucune connexion avec le monde extérieur. Juste là.
Vivre cette proximité avec les éléments, le bruit du vent dans les voiles, le choc des vagues sur la coque, les nuits à la belle étoile, le réveil dans la douceur du matin, la sensation d’être bercée par la mer, tout cela m’apaisait, me ressourçait.
Cette Nature, si puissante, contre laquelle on ne peut pas luter.
Me sentir si petite, vulnérable, et à la fois me découvrir une force impressionnante.
Dans l’urgence, dans la tempête, quand on n’a pas le choix, quand il faut aller à la barre ou se déplacer pour aider d’un côté ou de l’autre, décrocher son mousqueton, ce seul lien qui nous maintient attaché au bateau, le temps d’un instant, au milieu de cette tempête qui prend le contrôle, alors que le bateau est presque à la perpendiculaire, ne plus tenir à rien et risquer de tomber à l’eau.
Oui, vraiment, je me suis sentie vivre pleinement, profitant à chaque instant de cette puissance des éléments, de la mer, du vent, de la vie.
Une expérience humaine
Quand j’ai décidé d’embarquer sur ce voilier, je ne connaissais pas l’équipage, j’allais passer 24h/24 dans un espace restreint avec de parfaits inconnus, venant d’horizons différents, sans aucune possibilité de m’évader ou d’aller « faire un tour » en cas de problème.
Ça n’a vraiment pas été facile tous les jours. On avait tous un parcours et un caractère différent, il y avait des personnalités fortes, bien trempées, parfois difficiles à gérer. Certains avaient déjà navigué, d’autres étaient novices, certains avaient le mal de mer, d’autres étaient allergiques au soleil, une personne avait décidé de ne pas se laver ni se changer pendant tout le séjour, une autre n’avait pas envie de participer à la vie en communauté.
Entre les exigences de chacun, la fatigue, les odeurs, les malaises, les différences d’opinion, les discussions, il a fallu trouver un équilibre, tempérer, faire des compromis pour continuer une cohabitation sereine le reste du voyage.
Ça a été un bel apprentissage sur le lâcher-prise et l’acceptation, la différence, la tolérance, la vie en communauté, la communication et la gestion des conflits.
L’aspect matériel
Le lâcher-prise pendant cette navigation a aussi été d’ordre matériel.
Non seulement, il a fallu faire preuve d’organisation et de compromis pour se débrouiller avec ce qu’on avait à bord, rationner l’utilisation d’eau douce et les quantités de nourriture, trouver des alternatives quand on avait oublié d’acheter quelque chose au moment de l’avitaillement…
Mais j’ai aussi dû apprendre à lâcher prise à un autre niveau, quand mon appareil photo est tombé à l’eau suite à l’agitation d’une personne à bord. Un appareil photo immergé dans l’eau salée signifiait non seulement la perte de toutes mes photos mais aussi de mon appareil photo qui était probablement foutu. J’ai d’abord été vraiment énervée parce que cet événement venait s’additionner à d’autres.
Puis, avec l’aide des autres coéquipiers, on a rincé l’appareil à l’eau douce et on l’a mis en quarantaine dans un saladier rempli de riz pendant le reste du voyage.
Je n’ai pas eu d’autre choix que de relativiser. Rien de grave ne s’était passé. Le plus important, c’était les souvenirs qui étaient dans ma tête, pas sur les photos.
Quelques temps après, j’ai lu une phrase qui disait que les photos n’étaient pas nécessaires à l’immortalisation de nos souvenirs, parce que notre Âme, elle, se souvient de tout ce que voient nos yeux. J’ai trouvé cette phrase très belle.
Je pense que c’est à partir de ce moment-là que j’ai senti un changement en moi et que j’ai commencé à lâcher-prise sur les choses matérielles mais aussi que j’ai pris du recul par rapport aux photos.
Pendant les voyages qui ont suivi, il y a des moments où je n’ai pas fait de photo. J’ai simplement profité du moment que j’étais en train de vivre.
Lâcher l’appareil photo, ça peut vraiment être un beau cadeau que l’on se fait pour être pleinement présent.
Et finalement, je suis reconnaissante pour cet épisode car il m’aura ouvert les yeux sur ce qui est vraiment important.
Et même si mon appareil photo a eu quelques séquelles, j’ai pu sauver les photos que je vous partage ici:)
Les échanges et l’entraide
Enfin, ce que je retiendrai aussi de cette expérience, ce sont les échanges et l’entraide entre les différents équipages.
Quand on arrive au port, on retrouve les autres bateaux, on boit un verre ensemble, on partage un moment, une discussion.
J’ai parlé avec des voyageurs parcourant le monde entier à bord de voiliers qu’ils rapatriaient d’un pays à l’autre, ou d’un continent à l’autre.
J’ai été bluffée, émerveillée par leurs histoires.
J’ai aussi été époustouflée par l’entraide qui règne entre eux.
Pendant une tempête, alors que la majorité des bateaux avait décidé de rester au port pour attendre qu’elle s’apaise, un voilier a tenté de partir malgré tout. Malheureusement, il s’est fait prendre par le vent et il ne maitrisait plus rien. En plus de se mettre en danger lui-même, il risquait d’abîmer les autres bateaux sur son passage en sortant du port. C’est alors qu’un des hommes avec qui on parlait – qui avait une vitesse et une agilité impressionnantes ! – a sauté d’un bateau à l’autre, prenant le risque de se blesser et de tomber à l’eau, pour l’aider à revenir au port sans percuter les autres voiliers et sans faire trop de dégâts.
Je pense que c’est à ce moment-là, dans ce port, suite à toutes ces rencontres, qu’a germé en moi l’idée de partir à l’aventure, de voyager, de prendre le large.
Ce que j’ai fait quelques mois plus tard, pas à bord d’un voilier, certes.
Mais j’avais goûté à la liberté, et plus rien ne pouvait m’arrêter.
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